Je pense encore à toi parfois

Publié le par Youki

Je pense encore à toi parfois. Pourtant j’ai oublié ton prénom, et je ne saurais certainement pas te reconnaitre si je te rencontrais de nouveau. Je ne sais même pas si tu es vivant ou mort. Et ce doute est ce qui me fait souffrir le plus, car de tous mes autres anciens camarades de classe de collège je peux facilement imaginer qu’ils sont en vie, la plupart toujours à Villeurbanne ou la région lyonnaise, avec un job, peut être précaire, une famille, peut être déjà compliquée. Mais pas à la rue après avoir survécu déjà dix hivers et dix étés.

 

Je pense encore à toi parfois. Et j’ai honte. J’ai honte de la dernière fois où je t’ai rencontré, dans le centre ville de Lyon. C’est toi qui m’as hélée de loin. Je ne t’aurais certainement pas reconnu, cela faisait plusieurs années que j’avais quitté le collège, et je n’aurais jamais imaginé que ce serait toi cet ado assis sur des couvertures avec son chien, faisant la manche ou passant juste le temps à regarder les passants. Et puis, on ne fait jamais trop attention aux visages de ces personnes assises sur un bout de trottoir, on préfère éviter leur regard et leurs possibles appels à l’aide, non ? J’étais l’une de ces passants trop pressés. Toute apprêtée et déjà bien éméchée au sortir d’un bar, je me rendais avec mes amies de lycée en boîte. Tu m’as appelée par mon prénom, tu t’en souvenais. Mon cœur a eu si mal de te retrouver à la rue, alors que moi je ne faisais qu’y passer, guillerette et insouciante, toi tu y vivais.

 

Je pense encore à toi parfois. Aux mots que je ne t’ai jamais dits, que j’espérais passer dans un regard, trop rapidement avalé par mes pas rattrapant mes amies. Et j’espère que je ne t’ai pas blessé. Et j’espère que tu es en vie. Et je voudrais te dire que je suis désolée. Je suis désolée d’avoir été lâche et d’être partie sans te parler, partager avec toi cet instant que tu avais appelé. Je suis désolée d’avoir incarné avec une certaine insouciante cruauté l’injustice de notre société. Toi qui a été jeté trop jeune en foyer, avec trop peu de chances en main pour t’en sortir, tandis que je bénéficiais de toutes les facilités pour m’élever, une famille solide et aimante, l’argent, le confort, des ambitions pour mon avenir.

Publié dans La lunatique

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